Tous corporate hackers, ou presque

Si tu as déjà contourné des règles dans ton entreprise, est-ce que ça veut dire que tu es un corporate hacker ?

Si tu a déjà contourné des règles, est-ce que ça veut dire que tu est un corporate hacker ?
Tu as identifié le meilleur prestataire pour répondre à ton problème, mais ce n'est pas celui qui est référencé par les achats. Pourtant, tu vas trouver une astuce pour réussir à travailler avec lui.
Tu es en passe de signer un contrat important avec un client que tu connais bien, mais le département "analyse des risques" émet des réserves alors tu appelles le directeur commercial pour faire valoir tes arguments.
Tu veux proposer un projet plein de sens à ton manager, mais il ne jure que par les solutions déjà éprouvées à la concurrence alors tu contactes ton homologue dans une autre entreprise pour qu'il témoigne de ce qu'il a fait et ainsi t'aide à faire avancer ton projet.

Ce décalage entre travail prescrit et travail réel n'est pas du tout une nouveauté.  Si le management est naturellement plus intéressé par les éléments formels, les sociologues des organisations comme Michel Crozier ont largement analysé ces écarts depuis plus de 50 ans. Christophe Dejours, psychiatre et fondateur de la psychodynamique du travail va même plus loin en affirmant que travailler, c’est précisément combler l’écart entre le prescrit et l’effectif (Le travail entre souffrance individuelle, intelligence collective et promesse d’émancipation).

Norbert Alter (L'innovation ordinaire) en fait la source de l'innovation, c'est à dire de l'appropriation comme je l'ai expliqué dans Accueillir la déviance positive en entreprise.

Alors, si tout le monde prend des libertés avec les règles et normes de l'entreprise, pourquoi est-ce que le terme de corporate hacker continue de faire débat ?

Peut-on assumer d'être un corporate hacker ? 

Le corporate hacker est un hacker bienveillant: il contourne les règles pour faire mieux son travail
Les spécialistes ont beau expliquer que le corporate hacker n'est pas un "cracker" et ne cherche donc pas à s'enrichir personnellement ou à agir de manière malveillante, le terme reste largement connoté négativement, à tel point que de plus en plus de salariés choisissent de s'appeler "intrapreneurs" alors même qu'il n'existe pas de dispositif officiel d'intrapreneuriat dans leur entreprise.

Dans les exemples cités plus haut, si tu choisis de contourner la règle, c'est majoritairement parce que tu as une idée du travail bien fait qui est différente de celle des décideurs ou qui est empêchée par des process. Dans un premier temps, tu peux maintenir le secret sur la réalité de ton travail. Sauf que tes écarts peuvent aussi être découverts. Et si tu es convaincu de leur bienfondé, tu peux même choisir de révéler tes pratiques.

Face à ce type de comportement, l'organisation a plusieurs manières de réagir:
  • Ignorer la déviance. Dans ce cas, l'entreprise ne se positionne pas et si tu peux continuer, tu es également exposé à ce que tu soit ultérieurement sanctionné par une interdiction. 
  • Interdire la pratique. C'est évidemment une éventualité que tu souhaites éviter à tout prix, c'est pour ça que dans mon article Corporate hacking: quelques clés pour changer une entreprise de l'intérieur, je t'ai suggérer de travailler en groupe, de t'aligner avec la stratégie de l'entreprise et de rester flexible sur les moyens de résoudre le problème.
  • Autoriser la pratique: cette autorisation peut prendre de nombreuses formes qui vont de la tolérance à l'obligation pour tous d'adopter la pratique en modifiant la règle
C'est donc évidemment délicat de s'assumer corporate hacker dans le quotidien de l'entreprise.

Le corporate hacking est aussi un mouvement de résistance

Si, malgré ces difficultés, le corporate hacking est largement discuté dans la presse économique, c'est parce que l'idée du travail bien fait a largement débordé l'intime des entreprises pour devenir un mouvement de critique des emplois vide de sens décrits comme des jobs à la con ou bullshit jobs (Faut-il se résigner aux jobs à la con ?).

Ce mouvement, représenté notamment par l'association les Hacktivateurs et le collectif Corporate Hackers, revendique de changer l'entreprise de l'intérieur en mettant en avant des valeurs humanistes.

Certaines entreprises, qui cherchent par tous les moyens à contrôler les comportements des salariés y compris en manipulant la culture d'entreprise, voient clairement le danger d'une référence externe qui entraverait leur emprise sur les salariés.

Dans ce cadre, se revendiquer du corporate hacking peut être perçu comme un signe de déloyauté par l'entreprise.

Est-ce qu'on peut institutionnaliser le corporate hacking ? 

C'est impossible d'institutionnaliser le corporate hacking. L'ordre se nourrit du désordre
Si le corporate hacker (même s'il ne se reconnaît pas comme tel) favorise l'innovation, ne faut-il pas les repérer et les manager de manière spécifique ?

Bien sûr, certaines actions sont possibles, comme je l'ai écrit dans Accueillir la déviance positive en entreprise, mais le projet atteint vite ses limites car il s'agit d'un phénomène complexe et systémique: l'ordre se nourrit du désordre. Totalement normaliser le corporate hacking est finalement mission impossible, comme on ne peut pas faire coïncider le travail prescrit et le travail réel.

Le dirigeant doit donc régulièrement arbitrer entre les règles en vigueur et les actions déviantes des collaborateurs. C'est un processus dynamique qui n'a pas de fin.

L'intrapreneuriat, en revanche, est une manière de proposer aux corporate hackers un cadre qu'ils pourront choisir ou non de rejoindre pour faire avancer leurs projets (L'intrapreneuriat survivra-t-il à l'effet de mode ?).

Si tu es dirigeant, corporate hacker, intrapreneur ou que tu veux développer ce type de projet dans ton entreprise, tu peux me contacter : 

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