Accueillir la déviance positive en entreprise

Depuis la nuit des temps, les hommes ont voulu maitriser leur environnement. Mais cette volonté de contrôle assèche la possibilité d'innover. Il est temps d'accepter la déviance positive dans les organisations. 

Est-ce qu'on peut tout comprendre et tout maîtriser ?

Le plus court chemin, surtout dans l'innovation, n'est pas toujours la ligne droite
Plongé dans un monde vaste et menaçant, l'homme s'est d'abord rassuré avec des mythes et des religions. En effet, ces récits mythiques permettaient d'expliquer l'origine du monde et la manière de se comporter sur terre. Mais les humains ont toujours cherché à comprendre en utilisant leur intelligence et ainsi pouvoir contrôler le monde.

Le mythe de Prométhée met en scène l'origine de cette volonté de contrôle. Pour compenser la faiblesse physique des humains, Prométhée vole le feu à Zeus. Le feu représente la connaissance mais ce vol sera puni et Prométhée aura le foie sans cesse dévoré par l'aigle qui symbolise le remords de la conscience. (Pour en savoir plus, lire Le symbolisme dans la mythologie grecque - Paul Diel).

Plus tard, la science, en se séparant de la magie, a permis à l'humanité de comprendre de mieux en mieux son environnement et d'agir en conséquence. La science est aujourd'hui considérée comme toute puissante, comme en témoignent les spéculations sur l'intelligence artificielle qui pourrait même dominer l'humanité qui l'a créée.

Pourtant des penseurs comme Edgar Morin ont montré dès les années 1980 les limites de la rationalité et de la capacité à tout connaitre et à tout prévoir. En particulier, les organisations complexes produisent des émergences dont il faut savoir tenir compte.

L'entreprise, monde de la pensée simple (voire simpliste) !

Le monde est bien plus complexe que l'entreprise veut bien le penser
Certaines disciplines ont évolué en tenant compte de ces apports, comme la sociologie, la psychologie sociale ou encore la psychodynamique du travail créée par Christophe Dejours.

En entreprise, face à l'exigence d'une pensée simple et actionnable, on a tendance à largement ignorer la complexité, même si en cherchant bien, on peut trouver du coaching et du conseil systémique. Le modèle dominant est donc largement causal, ce qu'on retrouve dans l'expression "les mêmes causes engendrent les mêmes effets". Et surtout, on vit dans une illusion de rationalité où tout est explicable, modélisable, prévisible, contrôlable.

En résumé: "on ne gère bien que ce que l’on mesure". Et tu es sans doute largement confronté à cette manière de penser, toi qui doit faire un business plan ou faire accepter ton projet en démontrant un ROI (Return on Investment) favorable.

Cette volonté du "tout contrôle" se heurte directement à l'évolution du monde qui change de plus en plus vite et qu'Hartmut Rosa analyse dans Accélération. Une critique sociale du temps.

Cette accélération produit toujours plus de désordre et d'écarts avec les plans stratégiques, ce qui entraine en retour toujours plus d'activité organisatrice. Pas étonnant qu'on assiste à une inflation des jobs à la con !

L'innovation, l'opposé de l'invention dogmatique

Dans l'innovation, cette soif de contrôle est particulièrement problématique comme je t'en avais un peu parlé dans Vive l'innovation libérée ! Car ce qui caractérise l'innovation, c'est le fait que la nouveauté proposée soit réellement adoptée par le corps social. C'est d'ailleurs ce qui différencie l'innovation de l'invention. Et si tu peux avoir des intuitions et formuler des hypothèses, tu ne sais pas si réellement ta proposition va être adoptée par tes prospects ou en interne par les collaborateurs.

Si l'innovation est incertaine, elle reste largement prioritaire pour les dirigeants. Selon l'Annual Global CEO Survey de pwc, les CEO placent ainsi l'innovation dans le top 3 des initiatives à mener pour rechercher de la croissance.

La tentation est alors de décréter l'innovation. Le dirigeant, aidé par ses conseils, décide de changements sans accepter en retour que les collaborateurs puissent procéder à des ajustements. C'est ce que Norbert Alter appelle les inventions dogmatiques.

Son livre, l'innovation ordinaire a beau avoir été publié il y a près de 20 ans, il reste formidablement actuel. Ce qu'il explique, c'est qu'une invention organisationnelle peut se transformer en innovation seulement si on respecte schématiquement trois phases: incitation, appropriation, institutionnalisation.

La déviance positive, clé de l'appropriation

Risquer la déviance positive pour faire progresser l'innovation
L'appropriation est alors un acte de déviance positive lors duquel les acteurs vont déroger aux règles et aux normes établies afin de donner sens à l'invention. Ensuite, la hiérarchie constatant les déviances pourra décider de modifier les règles et les normes pour que toute l'organisation bénéficie de l'amélioration.

La déviance est dite positive car les acteurs dérogent aux règles dans le but de "faire marcher" l'entreprise et même d'améliorer la situation. Ils ont donc une vision du travail à faire différente des normes existantes mais ils restent à leurs yeux loyal à l'objectif global.

Pour ces acteurs, la déviance positive comporte toujours un risque (Entreprendre dans un grand groupe ? C'est risqué !), celui que la hiérarchie sanctionne la déviance à l'aune des normes existantes.

Ce risque existe particulièrement pour les corporate hackers (Corporate hacking: quelques clés pour changer une entreprise de l'intérieur) mais il existe également pour les intrapreneurs (3 conseils pour tirer le meilleur d'une expérience d'intrapreneur). En effet, si l'intrapreneur a des moyens d'actions particuliers pendant la phase d'incubation / accélération, il ne peut éviter de rencontrer des oppositions, en particulier de la part de ceux qui cherchent à contrôler les risques.

Accepter la déviance positive

Donc, pour toi, dirigeant ou manager, accepter la déviance positive peut consister à : 
  • Proposer un cadre qui incite à la prise d'initiative
  • Tolérer les écarts aux règles qui ne posent pas un risque majeur au fonctionnement de l'entreprise dans la mesure où ils visent le succès de l'entreprise
  • Faire vivre les règles et normes en repérant les pratiques dérogatoires qui auraient intérêt à être institutionnalisées et donc imposées à tous
POC en STOCK: podcast les startups au service de la transformation de l'entreprise
Dans mon podcast Collaborer avec des startups pour accélérer son développement commercial, tu trouveras un cas concret d'un cadre d'engagement qui a permis une transformation profonde de mon ancienne entreprise.

Accueillir la déviance positive peut te sembler difficile à mettre en oeuvre, alors je t'invite à me contacter pour en parler : 

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