Les illusions du management - la rationalité

Est-ce que tu n'as jamais eu ce sentiment que le discours ambiant est carrément à côté de la plaque ? Et que les solutions proposées aux problèmes comme l'engagement des collaborateurs ou la capacité à innover sont un peu plus de la même chose et finalement n'aboutissent pas à grand chose ?

Le management cède facilement à la dernière mode, une démarche bien peu rationnelle
Le management a beau s'enthousiasmer régulièrement pour une nouvelle mode (L'intrapreneuriat survivra-t-il à l'effet de mode ?), il a finalement le plus grand mal à remettre en cause des grands principes qui fondent son action.

Norbert Alter dans son livre l'Innovation ordinaire rapporte une expérience vertigineuse: dans un séminaire de formation, on demande aux participants de lister les grands problèmes actuels de leurs entreprises pendant que dans une salle à part, le formateur liste les grandes solutions à la mode. Ensuite, on met en commun les travaux sous forme d'une matrice et le formateur démontre assez facilement qu'à peu près toutes les solutions répondent à tous les problèmes.

Cette expérience répétée plusieurs fois indique qu'on conserve l'illusion de la rationalité alors que le choix des solutions correspond beaucoup plus à un acte de foi.

Dans Critique de la décision, Lucien Sfez met effectivement en cause la rationalité des décisions en élargissant la critique à la linéarité et la liberté. La linéarité, c'est croire qu'on peut séparer la préparation de la décision de la décision elle-même et de la mise en oeuvre. La liberté, c'est penser que le décideur est libre de sa décision alors qu'il est lui-même soumis à de nombreuses contraintes liées au système dont il fait partie.

Mais alors, si on remet en cause la rationalité, que nous reste-t-il pour penser les situations et agir efficacement ?

Le hasard

Le hasard fait peur au management et heurte sa volonté de contrôle
On connait bien l'histoire de la création du post-it comme exemple de sérendipité. Si beaucoup d'autres exemples sont régulièrement cités, on n'en tient généralement pas compte car le hasard fait véritablement peur et ne correspond pas à l'idéal de maîtrise qu'on attend du management (voir Vive l'innovation libérée !). Il faut relire Nassim Nicholas Taleb, particulièrement connu pour son livre le Cygne noir, et qui avait auparavant écrit le Hasard sauvage. Dans ce premier livre, il expliquait déjà comment nous avons tendance à surestimer l'importance de la causalité.

Ignorer le rôle du hasard peut mener à de graves ennuis, en particulier sur les marchés financiers dont Nassim Taleb est expert. Si on n'y prend garde, on peut tous subir un cygne noir (On ne pouvait pas savoir ! L'impact du cygne noir). Heureusement, Nassim Taleb propose un moyen pour se protéger des effets du hasard comme je l'explique dans Antifragile: 3 conseils pour résister à l'adversité.

La rationalité limitée

Nous sommes baignés dans une culture universaliste. Pourtant croire que tout le monde doit penser comme soi est une grave erreur, en particulier quand on est un dirigeant. Pour comprendre les jeux des acteurs sans renoncer totalement à toute rationalité, il faut introduire la notion de rationalité limitée, introduite par Herbert Simon et appliquée à la sociologie des organisations par Michel Crozier dans l'Acteur et le système dès 1977. Chaque acteur plongé dans un (ou plusieurs) système(s) va alors guider son action en analysant les possibilités que lui laisse le jeu des acteurs.

L'intérêt de prendre en compte le concept de rationalité limitée, c'est qu'il permet de réellement s'intéresser aux propositions des autres et ainsi de pouvoir accueillir la déviance positive en entreprise.

La complexité

La complexité apporte ambiguïté, récursion et holographie, ce qui produit des émergences bien peu prévisibles
La simplicité n'existe que dans les modèles. La réalité est en général complexe, en particulier dans les grandes entreprises. Nous avons les plus grandes difficultés à penser la complexité car elle combine:
  • ambiguïté: Edgar Morin appelle dialogique le fait qu'une chose existe avec son contraire, tout à la fois malgré et grâce à son contraire. Pense par exemple au désordre ou à l'informel qui sont finalement nécessaire au fonctionnement de l'entreprise tout comme les corporate hackers (Tous corporate hackers, ou presque). 
  • récursion: dans les organisations, les interactions sont telles que les effets deviennent causes, ce qui créent des causalités en boucle. Ce phénomène de récursion est amplifié par les anticipations des acteurs. Par exemple, dans un processus d'élaboration budgétaire, on s'attend à ce que le responsable négocie le montant à la baisse donc on l'augmente artificiellement dès la demande initiale. 
  • holographie: ce principe indique que chaque partie contient le tout qui lui naturellement contient les parties. Pour comprendre ce principe, on peut prendre l'exemple du génome présent dans chaque cellule. Dans une organisation, c'est le cas de la culture qui est présente dans chacun de nous (voir aussi Peut-on utiliser l'intrapreneuriat pour changer la culture d'entreprise ?
Ces trois principes rendent les systèmes complexes imprévisibles, en particulier parce que des qualités nouvelles émergent du système en fonctionnement. Qui aurait pu prédire par exemple la bullshitisation des jobs à lire dans Faut-il se résigner aux jobs à la con ?

Naturellement, des solutions existent pour agir en incertitude, en particulier l'effectuation (voir ma vidéo), donc si tu es dirigeant, manager ou que tu cherches à changer les choses dans ton entreprise, tu peux me contacter :

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