Comment sauver l'entreprise si on décourage les collaborateurs ?

Demander à un collaborateur de travailler pendant son chômage partiel, c'est prendre le risque de ne plus pouvoir faire repartir l'entreprise
Bientôt un mois de confinement. Nos vies ont changé et les entreprises ont dû s'adapter dans l'urgence.

Tout d'abord, les dirigeants ont constitué une cellule de crise qui a décidé des mesures immédiates pour la sécurité du personnel et pour la continuité des opérations. Il a fallu immédiatement organiser le télétravail, revoir les chaines d'approvisionnement et réorienter les ventes en fonction des canaux de distribution qui demeuraient disponibles. De nombreuses entreprises ont également mobilisé leurs moyens pour contribuer à l' "effort de guerre" (voir : Innovation : trois outils pour faire face à la crise du Covid-19).

En parallèle, les directeurs financiers ont pris des mesures pour préserver la trésorerie : gel des dépenses, reports des remboursements de prêts, recours à l'emprunt obligataire, ... Mais une grande partie de la survie des entreprises dépend du plan d'aide aux entreprises mis en place par l'Etat et dont le chômage partiel est la mesure phare.

Cependant le confinement s'éternise et les perspectives restent très sombres. Ainsi, d'après l'Insee, l'activité économique a diminué de 36% par rapport à la normale et chaque mois de confinement ampute le PIB annuel de 3 points. Dans ce contexte, la tentation devient forte de profiter du système généreux mis en place par le gouvernement.

La presse s'est emparée du sujet cette semaine en relatant les pratiques des entreprises dans plusieurs articles. Si les cas cités sont souvent révoltants, il faut distinguer entre le simple abus ("je mets mes salariés au chômage partiel alors qu'ils pourraient continuer leur activité en télétravail") et l'escroquerie caractérisée ("je demande aux salariés au chômage partiel ou en arrêt de travail pour garde d'enfant de travailler malgré tout").

En fonction des cas, les entreprises s'exposent naturellement à des sanctions mais également à trois risques majeurs qui hypothèquent leur possibilité de rebondir : crise éthique, désengagement et ruine de la culture d'entreprise.

Des salariés soumis à une grave crise éthique 

Lorsqu'un manager indélicat demande à ses collaborateurs de contribuer à l'entreprise alors qu'ils sont au chômage partiel ou en arrêt de travail pour garde d'enfant, il plonge les salariés dans un grave dilemme : soutenir la triche organisée par son entreprise ou désobéir à son management alors même que l'entreprise lutte pour sa survie. La métaphore de la guerre omniprésente (Du confinement à l'économie de guerre: penser le changement) peut alors être invoquée : doit-on collaborer pour garder son emploi ou résister par respect pour l'effort national ? La situation engendre une dissonance éthique extrême. Le conflit de loyauté sera en général tranché en faveur de l'entreprise dans un contexte d'anxiété face à l'avenir où l'on craint de perdre son emploi. Mais le choix de survie ne peut être réellement assumé. On ne peut s'en sortir qu'en laissant la place à l'aliénation et la mauvaise foi.

Car le collaborateur qui applaudit à 20h les personnels soignants et contribue aux nombreux mouvements de solidarité dans son quartier ne peut agir comme son entreprise le lui demande qu'au prix d'une coupure entre sa vie privée et professionnelle. Cette aliénation est d'autant plus perturbante que le télétravail forcé mélange les liens et les temps.

Avec l'aliénation viendra la mauvaise foi, c'est-à-dire la construction d'un discours qui visera à minimiser ce qui se joue : "ça ne me dérange pas" ou à le nier : "je n'avais pas le choix". Ce discours de la mauvaise foi est d'ailleurs largement mobilisé par le management intermédiaire. Celui-ci est parfois soumis à un double discours de la direction qui affiche publiquement le respect strict du droit et demande exactement l'inverse en petit comité. Nous retrouvons d'ailleurs très clairement la manière dont les uns et les autres solutionnent cette dissonance cognitive dans les articles parus comme par exemple dans Coronavirus : « On me demande de travailler tout en étant au chômage partiel ».

Quand le travail n'a plus aucun sens : la source du désengagement

Jusqu'à très récemment, la recherche du sens au travail était une priorité pour les entreprises et pour leurs collaborateurs. J'en avais même fait un voeu pour 2020: Un travail qui a du sens, ce n’est pas la lune ! Bonne année 2020 ! Du jour au lendemain, la lutte pour la survie masque instantanément la question. Lorsque des entreprises choisissent de produire des masques, du gel hydro-alcoolique, des respirateurs, le sens du travail est évident. C'est le cas aussi pour celles qui ont su exprimer dans leur communication de crise comment elles contribuaient concrètement à la lutte contre la pandémie et à la continuité des activités vitales. Leurs collaborateurs sont alors plus facilement motivés et peuvent même ressentir une forme d'héroïsme face au danger.

Malheureusement, ce retour du sens au travail ne concerne pas toutes les entreprises, loin s'en faut. Et si les entreprises communiquent largement sur leurs efforts, tous les salariés ne sont pas directement impliqués. Evidemment, les entreprises malhonnêtes brisent ce processus. En plaçant leurs salariés devant ce choix impossible, elle les confronte à l'inutilité de leurs efforts. Ce phénomène est décrit dans une étude où les DRH sont forcés de prendre des décisions qu'ils réprouvent : dissonance éthique : forme de souffrance par la perte de sens au travail.

Ces salariés coupés du sens du travail se retrouvent peu ou prou dans la situation des collaborateurs qui occupent un job à la con (Faut-il se résigner aux jobs à la con ?). Ils rejoignent les salariés qui n'arrivent plus à trouver de la satisfaction dans leur travail : Alerte ! Le travail ne répond plus !

La culture d'entreprise dans la crise

Très à la mode dans les années 1980 et 1990, la création et la diffusion d'une culture d'entreprise est récemment réapparue sous la forme de management par les valeurs puis à nouveau avec l'engouement  récent pour la raison d'être à inscrire rapidement dans les statuts (Engagement collaborateur : pourquoi utiliser la responsabilité sociale est une mauvaise idée).

Les consultants incitent à créer des rituels, à mobiliser des symboles, à revisiter l'histoire de l'entreprise pour identifier les héros qui seront porteurs des valeurs à faire accepter. Tout cet échafaudage confine souvent à la manipulation. Aujourd'hui la situation est infiniment plus simple : l'histoire est en train de s'écrire.

Il faut le rappeler, les collaborateurs sont sensibles aux actions et non aux discours (Culture de l'échec : peut-on apprendre de ses erreurs ?). Et comme la période actuelle est particulièrement éprouvante, elle marquera les esprits pour longtemps.

Toutes les entreprises craignent aujourd'hui pour leur survie. Certaines vont disparaître (Rebond entrepreneurial : qui a dit qu'il était facile d'échouer ?). Mais pour s'adapter sous la contrainte, nous aurons besoin de la mobilisation de tous, alors soyons attentif à préserver l'engagement des collaborateurs.

Et toi, comment ton entreprise s'adapte au confinement ? Comment agis-tu au quotidien pour préparer le rebond ? Je t'invite à partager tes initiatives en commentaire ou à me contacter: 
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